DIEN BIEN PHU |
NATACHA
Giap, malgré ses échecs répétés et l'opération Mouette, qui a coûté dans le delta 4 000 hommes, n'a pas renoncé à pénétrer au Laos et concentre des troupes en vue d'une nouvelle offensive. Une opération aéroportée du nom de Castor, sera déclenchée le 20 novembre 1953 afin d'occuper la cuvette de Diên-Biên-Phu, de remettre en état le terrain d'aviation, d'y implanter des moyens permettant de contrôler cette région. Depuis longtemps, on connaît Dien-Bien-Phu et sa position stratégique de passage obligé (le seul) entre la Chine et la moyenne vallée du Mékong : la porte du Sud ! Le terrain se présente sous la forme d'une vallée alluviale de 12 km de long sur 5 de large, traversée du nord au sud par la rivière Nam-Youn et bordée à l'est et à l'ouest par des massifs boisés. La partie nord de la cuvette, où est situé le village de Diên-Biên-Phu, comporte une série de pitons dominant le terrain d'aviation et le village. L'opération a lieu sur un terrain ami : les populations nous sont très favorables. Les commandants d'unité veilleront à ce qu'aucune exaction ne soit commise. Les prévisions météo donnent en cette saison : brouillard jusqu'à 10 heures, ensuite ciel dégagé jusqu'à 3 heures du matin. Le 16 novembre, le bulletin de renseignement fait état de la présence dans la cuvette du régiment 148 à proximité immédiate de Diên-Biên-Phu. Le 19 novembre, la totalité des moyens aériens est mise à la disposition de l'opération Castor. Le 20 à 6 h, 65 Dakota, 33 à Bach-Mai, 32 à Gia-Lam, sont prêts à enlever une 1ère rotation de 1 625 hommes comprenant la majeure partie du GAP 1, dont le 6° BPC. A 10h30, la 1ère vague atteint l'objectif. Les avions se présentent par 3 sur la DZ, et les 675 paras du 6° BPC sautent derrière le commandant Bigeard sur Natacha. Les ordres du GAP 1 sont clairs pour le 6° BPC parachuté à la 1ère rotation sur la DZ Natacha : - Dans un 1er temps, prendre pied le plus rapidement possible dans les lisières ouest de Diên-Biên-Phu, puis occuper et nettoyer le village. S'installer de façon à appuyer la progression du 2/1°' RCP, de la DZ Simone aux hauteurs 400 m est de Diên-Biên-Phu, - Dans un 2ème temps et sur ordre, assurer la protection de la DZ Natacha pendant le largage de la deuxième vague. - Dans un 3ème temps, s'installer défensivement dans Diên-Biên-Phu face au nord, à l'ouest et au sud, et assurer la protection des éléments lourds s'y trouvant. - Pour l'installation défensive de nuit, la liaison entre le 6° BPC et le 2/1er RCP est à la charge du 6° BPC. A 10h40, le bataillon Bigeard se pose au milieu des VM à l'instruction. Prises sous le feu intense des VM qui se sont rapidement ressaisis, tributaires d'un largage approximatif, les compagnies ont du mal à se regrouper. La situation au sol est confuse et interdit toute intervention de l'aviation. Vers 11h30, un feu nourri de mortiers VM se déclenche sur la DZ. La 1° Cie du "6" est clouée au sol, la 2° tient bon à l'est et la 4° progresse vers le nord Les mortiers du bataillon sont toujours sans munitions, dispersées au saut, et les artilleurs ne retrouveront leurs canons qu'après l'engagement. A 12h15, un Morane 500 fait son apparition et dirige l'action des B 26. Le village de Diên-Biên-Phu est bombarde. Malgré l'intervention des B 26, la tentative d'encerclement de Diên-Biên-Phu par la 1° compagnie échoue. De nombreuses unités sont clouées au sol par un feu intense d'armes automatiques. Vers 15h30, Bigeard demande un nouveau bombardement aérien qui détruit le centre du village. La 3°Cie pénètre dans la partie est, la 1 Cie progresse au prix de farouches combats, maison par maison, contre la compagnie de commandement du bataillon 910. Quand la 2ème rotation arrive dans l'après-midi, la cuvette de Diên-Biên-Phu est solidement tenue et les DZ sont sûres. Au prix de 15 tués, dont 11 pour le seul 6° BPC, et de 47 blessés (6° BPC : 42), saut compris, les paras verrouillent la porte du Sud. Les VM comptent 115 morts et 4 blessés dénombrés sur le terrain. 40 armes, des munitions, des grenades, 2 téléphones et des câbles, du matériel d'instruction, les documents du bataillon 910 et de la compagnie 226 sont tombés entre les mains des paras. Le 21 novembre, le GAP 2 et le PC de Castor sont parachutés sans difficultés sur Diên-Biên-Phu. Le 22, la piste d'aviation est sommairement aménagée et peut recevoir son 1er Morane. Dès le soir, les bataillons parachutistes effectuent des sorties de reconnaissance dans les environs de Diên-Biên-Phu et des raids dans la profondeur. Le 11 décembre, le 6° BPC quitte le camp retranché pour Hanoi. |
ELIANE
"Messieurs,
c'est pour demain 17 heures." Le colonel de Castries, commandant le
camp retranché de Diên-Biên-Phu, clôt le
rapport du soir, le 12 mars 1954. Les officiers et les 10 871 hommes
installés dans la cuvette sont confiants, certains de briser les
vagues d'assaut viets au débouché des collines...
Depuis Castor, la physionomie de la vallée a été radicalement modifiée. Le camp retranché est essentiellement constitué d'un réduit central assurant la défense immédiate de la piste d'aviation. 8 des douze bataillons de la garnison tiennent de gros points d'appui de part et d'autre de la Nam-Youn : Claudine, Huguette et Anne-Marie à l'ouest, Eliane et Dominique à l'est. Les PA sont entourés de véritables nappes de barbelés et de champs de mines. A chaque embrasure de blockhaus se profile une arme automatique. Le 13 mars 1954, le moral de la garnison est au plus haut, malgré les tirs d'artillerie qui interdisent le trafic aérien. Le plan de Giap est simple s'emparer de Béatrice et de Gabrielle pour contrôler le terrain d'aviation afin d'asphyxier la garnison. Dans la soirée, Béatrice, tenu par le 3/13' DBLE tombe. Le 14, Gabrielle, tenu par les Algériens du 5/7e RTA, est attaqué dans les mêmes conditions et subit le même sort. Dans le camp retranché, c'est la consternation et le moral baisse considérablement. Désormais, Giap tient la piste d'aviation sous ses feux. Les "posés ravitaillement" sont arrêtés depuis le 13 au soir. L'approvisionnement de la garnison s'effectue par des parachutages, seule la DZ sud peut être utilisée. Le 16 mars, vers 11 heures, 42 C 47 larguent le 6° BPC sous le feu de la DCA. On saute à 150 mètres d'altitude. Peu de temps pour faire le tour d'horizon ou celui de la coupole. Souhaits de bienvenue des mortiers VM ! Le pliage des parachutes est un peu oublié. Bigeard reçoit l'ordre de s'installer sur Eliane 2, une colline dénuée de tout arbre. Déjà vexé de s'être foulé une cheville à l'atterrissage, il peste contre la position à aménager. Pour le 6° BPC, qui, à peine posé, compte 3 tués et 13 blessés, il s'agit d'un retour mouvementé à Diên-Biên-Phu. Toutefois, après Castor, le bataillon n'avait guère eu le temps de chômer. Le 30 décembre, le 6° BPC était aérotransporté à Seno. Opérant dans cette région, le 5 janvier 1954, le "6" accrochait durement des éléments du régiment 66 près de Ban-Som-Hong. Talonné par les Viets, après une course épuisante de 12 heures, le "6" atteignait Ban-Na-Uong et regagnait Seno, où le chef de bataillon Bigeard se voyait décerner sa vingtième citation. Du 2 au 12 mars, le bataillon prenait la garde du terrain de Cat-Bi à Haiphong. 10 jours plus tard, le 6° BPC sautait sur Diên-Biên-Phu... L'arrivée de Bigeard et de son célèbre bataillon redonne de l'espoir à la garnison. Désormais, à Diên-Biên-Phu, l'héroïsme est quotidien, presque banal, tant les combats sont acharnés. Les paras colmatent les brèches, contre-attaquent... Le 22, le 6° BPC est accroché violemment près de Dominique. Le 24, le commandant Bigeard devient "adjoint aux interventions" du camp retranché. Alors que l'étau se resserre, de plus en plus les parachutages tombent chez les VM. La DCA gêne considérablement les largages. "Il faut aller me chercher cette DCA !" ordonne le colonel de Castries à Bruno, indicatif du commandant Bigeard. Ces pièces sont installées à Ban-Ban et à Ban-Ong-Pet, à moins de 2,5 km de Claudine. Le 28, à 6 h, l'attaque démarre appuyée par 26 obusiers et mortiers. Les 6° et 8° BPC progressent. Même si l'aviation ne peut intervenir qu'à partir de 9 h, l'opération est un succès. Après des combats acharnés qui s'apparentent à ceux de Verdun, à 15 h, la défaite du TD 36 est consommée. Il laisse 400 cadavres sur le terrain et abandonne 2 canons de 57 SKZ, 5 mitrailleuses lourdes, 2 mitrailleuses de 12,7, 2 lance-roquettes, 14 FM et plus de 1 000 armes individuelles. Mais l'opération a coûté cher : le 6° BPC compte 6 morts et de nombreux blessés. Malgré leur échec, les VM progressent, creusant un lacis de boyaux qui leur permettent d'arriver à portée d'assaut des PA de la rive gauche de la Nam-Youn. La victoire des VM ne semble plus qu'une question d'heures. Ils déboulent vers la piste d'aviation mais sont stoppés par les canons de 105 qui tirent à hausse zéro. Dans la nuit, Bigeard rameute toutes ses réserves pour secourir Eliane 2. La 2/6 BPC sont au corps à corps sur Eliane 3. Sur tous les points d'appui la bataille fait rage. A 15 h, des centaines de cadavres jonchent le sol, l'air est irrespirable. Bigeard rend compte que tous les objectifs sont atteints. Mais faute de troupes fraîches, les positions chèrement acquises sont abandonnées. Les compagnies du 6° BPC comptent moins de 100 hommes. Le 2 avril, le bataillon est réduit à moins de 300 combattants. Giap porte maintenant son effort sur Huguette. Le 3 avril, Bigeard monte une contre-attaque avec les 1° et 2° Cie du 6° BPC. 160 parachutistes se portent à la rencontre de 3 000 soldats de la DD 312. L'artillerie appuie de tous ses feux. On lutte mètre par mètre, au PM, à la grenade... A l'aube du 10 avril, Bigeard conduit personnellement une attaque pour réoccuper Eliane 1. Il a choisi d'engager le "6", réorganisé à 3 compagnies de 80 hommes pour cette action. A 6h10, une compagnie s'élance derrière un barrage d'obus fumigènes. Les Helldiver de l'Aéronavale neutralisent les sommets environnants. VM et paras sont étroitement imbriqués, l'artillerie ne peut intervenir. Une autre compagnie monte à la rescousse. Les paras nettoient le piton au lance-flammes. A 11h30, le 6° BPC est maître de la position. Il a encore perdu 15 tués, 10 disparus et 26 blessés quand il est relevé par le 2/1° RCP. Eliane 1 tiendra encore 20 jours, gardé par des morts vivants. Les VM semblent renoncer aux assauts de masse; ils s'infiltrent et "grignotent" lentement les points d'appui. Tous les jours, les paras contre-attaquent pour stopper ces infiltrations. Le 6° BPC s'installe sur Eliane 10. Le 20 avril, la 3° Cie est dissoute et les survivants répartis dans les 1° et 2° Cie. Chaque jour, les paras effectuent des coups de main d'"aération". A Diên-Biên-Phu, il ne reste plus que 3 jours de vivres. Les munitions sont comptées. De Castries propose un plan de sortie générale. Bigeard réorganise les unités, qui ne tiennent plus qu'un vague carré de 1 500 mètres de côté. Le 2 mai, les orgues de Staline font leur apparition dans la bataille. A 22 h, les 2 dernières Eliane subissent un assaut décisif. Sur Eliane 10, le 6° BPC tient contre 2 régiments. Il mène contre-attaque sur contre-attaque et tient obstinément. Le 6, assaut général sur la position centrale du camp. Eliane 10 subit de violents assauts toute la nuit. Le 7, les restes du 6° BPC, environ 150 hommes, se défendent la rage au coeur. A 9 h, le sommet d'Eliane 10 est occupé par les VM. Mais on continue à se battre dans les tranchées. A 17 heures, Bigeard adresse un ordre écrit à Eliane 3: "Cessez le feu à 17h30 - Ne tirez plus - Pas de drapeau blanc - A tout à l'heure - Pauvre "6" - pauvres paras ! - signé: Bruno" 1 à 1, les survivants sortent des tranchées. Un autre calvaire les attend dans les camps de concentration. Certains essaieront de s'échapper. Avec 4 paras du 6° BPC marcherons 200 km en direction de Muong-Sai avant d'être pris en charge par les fidèles Méos le 24 mai. Mais beaucoup périront dans les camps. Le 6° BPC est dissous le 8 mai 1954 par disparition au combat. Sa conduite à Diên-Biên-Phu lui vaut sa 5ème citation à l'ordre de l'armée et le droit au port de la fourragère aux couleurs de la médaille militaire. |